... C'est là qu'il a rencontre maman.

Maman est née le 5 février 1896 à Paris. Elle était fille unique. Sa mère Augustine Ragot venait de Normandie née le 22 octobre 1871 à St Cénery le Gerey dans la Sarthe. Les parents de ma grand mère François Ragot et Françoise [Marie] Dudouet y étaient nés.

Ma grand mère avait 1 frère, l'oncle Alcide né vers 1868 et une soeur [Angèle]. Cet oncle était venu travailler à Paris, il était ouvrier tourneur et il avait fait venir ses sœurs comme domestiques dans des "maisons bourgeoises". Ma grand mère avait ainsi appris le métier de cuisinière. Elle avait rencontré son mari Paul Grattier de 15 ans plus âgé qu'elle. A la naissance de maman sa première épouse l'avait quitté mais il n'était pas divorcé de sorte que les lois de l'époque ne lui ont pas permis de reconnaitre maman.

Ma grand mère est décédée en juin 1909. Depuis 3 ans elle était malade (vraisemblablement un cancer des reins ou une tuberculose des reins) maman disait que le médecin venait chaque semaine, lui faisait des ponctions de liquide de l'abdomen et que peu à peu elle se défaisait de ses économies, des Louis d'or entassés dans des tubes de comprimés d'aspirine. Elle est décédée chez sa mère à St Cénery. Dans le cimetière que entoure l'église j'ai retrouvé la tombe de mon arrière grand père François né en [1822] décédé en [1905] mais pas celle de ma grand mère et de l'arrière grand mère.

Maman avait été baptisée dans l'église de St Cenery ornée de belles fresques. Le grand-père de maman qui avait été militaire jusqu'à l'age de 40 ans avait pu s'acheter un champ et une maison située à gauche du petit pont. La grand mère devait avoir une vache et de la volaille quant au grand-père il était tisserand et allait à la pêche dans la Sarthe pour vendre aux hôtels les poissons qu'il péchait. St Cénery le Gerey est situé dans les Alpes mancelles et était recherché par les touristes et les peintres. Je n'y suis allées qu'une seule fois pour y emmener maman.

Le père de maman était originaire du Gâtinais près de Paris. là aussi c'étaient des cultivateurs mais riches et près de leurs sous. Maman n'était pas entrée dans les héritages et n'ayant pas la même mentalité les a fréquentés jusqu'à son mariage et moins ensuite. A l'époque on voyageait peu faute de moyen de transports et les liens familiaux se distendaient dès qu'on quittait le pays. Le grand-père Paul Grattier avait fait son service militaire au  Sénégal à St Louis au moment de la conquête de cette "Colonie". Il était l'un des rares rescapés du régiment décimé par le paludisme. Il disait avoir tenu le coup grâce à son métier de boucher qu'il exerçait aussi à l'armée. Bien nourri il avait mieux résisté mais était sujet à des crises de paludisme toute sa vie

Maman, orpheline dès 13 ans était restée seule avec son père qu'elle adorait. Elevée en Bretagne car c'était une couture à l'époque de ne pas garder les jeunes enfants à Paris (trop malsain!) elle n'avait vécu avec ses parents qu'à l'âge de 7 ans et ne les connaissait guère alors. Les voyages étaient longs, couteux, les vacances n'existaient pas aussi maman avait-elle vu ses parents une ou deux fois avant 7 ans.

Elle se souvenait être arrivée à Paris en février, avec un chapeau de paille qui faisait honte à sa mère. Elle avait pendant 7 ans vécu une vie paysanne en Ille et Villaine près de Montfort s/Meu avait connu la liberté bien qu'allant à l'école du village.

Lorsque sa mère la reprit elle voulu reprendre son éducation, la "dresser" et elles ont eu les plus mauvaises relations possibles. Maman se réfugiait auprès de son père et disait "pour lui j'aurais fait n'importe quoi" mais elle avait gardé le souvenir d'une mère méchante en tous cas sévère et malade et surtout n'ayant pas élevé son enfant.

Par contre elle gardait un bon souvenir de ses grands parents maternels chez lesquels elle passait ses vacances à partir de l'âge de 7 ans. Son grand père l'emmenait dans sa barque relever les filets posés pour attraper le poissons.

Maman allait, à Puteaux, à l'école "des soeurs" Elle me parlait de la soeur Pauline qui les faisait se mette à genoux dans l'allée de la classe et prier ardemment les jours d'orage. en 1905 lors de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, les soeurs avaient été remplacées par des demoiselles. L'école des soeurs accompagnait les enfants à leur domicile et lorsque les rangs des catholiques croisaient les rangs des protestantes les enfants devaient tourner la tête. Regarder une protestante pouvait faire perdre son âme !

L'instruction devait être donnée à base de "savoir par coeur" maman avait appris énormément de règles de grammaire, de faits d'histoire ou de géographie "par coeur" et elle avait gardé une excellente mémoire jusqu'à sa mort.

Elle avait obtenu le certificat d'études en 1908 alors qu'elle n'allait à l'école que le matin car sa mère très malade avait besoin de son aide l'après-midi et dans sa classe 11 élèves avaient été présentés à l'examen et 3 seulement reçus. Il parait que sa mère avait pleuré de joie en apprenant ce succès et c'était le seul bon souvenir qui rattachait maman à sa mère, elle avait constaté ce jour là que celle ci était fière d'elle.

Ma petite fille Julie semble lui ressembler. Levée de bonne heure, allant jusqu'au bout de ses forces mais susceptible, maman avait besoin d'être aimée et était mortifiée à la moindre critique.

Orpheline de sa mère à 13 ans elle avait donc vécu seule avec son père. Celui-ci ne possédait plus de boucherie à son comptes comme lors de son premier mariage mais était employé. A l'époque les commerces ouvraient tôt mais fermaient le plus tard possible. Ils étaient ouverts toute la semaine et dimanche matin. Par conte le travail était proche du domicile et si le temp d'activité était long, celui du transport était nul.

Maman et son père avaient tout de même le temps de se distraire. Bien sûr pas de radio encore moins de télé. Un soir de la semaine ils allaient voir un film donné dans une arrière salle de café. Maman connaissait donc tous les "Charlot". Mon grand-père devait aimer sortir. Jeune homme à Paris il appartenait à "la claque". Cette "claque" assistait à des spectacles de théâtre gratuitement - au poulailler - et au devait applaudir à tout rompre en paiement de la place. Le grand-père emmenait aussi maman à la revue du 14 juillet qui se déroulait à Longchamp et elle gardait du défilé des troupes un souvenir ébloui.

Maman avait donc une vie heureuse à partir de 13 ans. A cet âge, après le Certificat d'études, elle était entrée en apprentissage, toujours chez les soeurs, pour devenir couturière. Après le décès de sa mère, le grand-père l'a fait quitter cet apprentissage pour l'inscrire dans une école commerciale. Elle a donc repris ses études in 1910 pour 3 ans. Elle avait fait un peu d'anglais appris la sténographie et la dactylographie. Vive de ses mains et d'esprit elle était devenue une bonne secrétaire et c'est ainsi qu'elle est entrée dans la société De Dion-Bouton où elle a rencontré Papa.

En Bretagne maman allait l'école "de temps en temps" elle se souvenait surtout de ses escapades avec la chèvre à la suite de laquelle elle grimpait les talus.

Un jour [maman] ayant la croix d'honneur épinglée sur le tablier, la marraine de l'une des élèves, marraine qui était la chatelaine du pays, était venue en visite. La soeur retira la croix à maman pour en affubler la filleule et maman 60 ans plus tard était encore révoltée conte l'injustice et l'hypocrisie de la soeur. L'Eglise avait perdu de sa crédibilité par ce geste.